Jihâd mineur et jihâd majeur

Nous savons que la référence scripturaire qui fait valoir le jihâd intérieur est la parole du prophète qui, rentrant d’une expédition militaire, déclara: «Nous voici revenus de la lutte mineure (jihâd asghar) pour nous livrer à la lutte majeure (jihâd akbar)». Un de ses compagnons lui demanda ce qu’il entendit par «lutte majeure», il répondit: «la guerre du coeur», ou «la lutte contre les passions ». D’autres traditions prophétiques attestent de la valeur spirituelle du
combat contre soi-même, et non pas contre l’autre. Ce combat “réflexif ” (qui vise le soi) et “introspectif ” (dont la direction se tend vers l’intérieur) revêt une grande valeur morale chez la plupart des soufis.

Parmi ces traditions prophétiques, on retiendra le discours du prophète lors de son dernier pèlerinage (hajjat al-wadâ‘) qui fait état de la guerre contre soi-même à laquelle le combattant doit se livrer. Il dit: «Le croyant (mu’min) est celui dont les gens n’ont pas à se défier en ce qui concerne leurs biens et leur personne; le musulman (muslim) est celui dont les gens n’ont pas à redouter la langue ni la main; le combattant (mujâhid) est celui qui mène le combat contre lui-même dans l’obéissance à Dieu; et l’exilé (muhâjir), celui qui a quitté son foyer, est celui qui renonce à ses péchés»2. Ce hadith est autant une description de la nature de ces personnages (le croyant, le musulman, le combattant et l’exilé) qu’une véritable définition du rôle que chacun joue, tour à tour, dans la pratique religieuse. Les personnages portent les significations à même leurs noms respectifs: 1. Le croyant (mu’min) n’est pas uniquement celui qui atteste sa foi, mais aussi celui qui est digne de confiance (amîn).

2. Le musulman (muslim) n’est pas seulement celui qui prouve son appartenance à l’islam, mais aussi celui qui s’abstient de faire du mal à autrui, et par rapport auquel les autres se sentent à l’abri (du verbe salima, être sain et sauf). 3. Le combattant (mujâhid) n’est pas celui qui désire triompher sur l’autre, mais celui qui a l’art et la manière de maîtriser son ego. 4. Enfin, l’exilé (muhâjir) n’est pas celui qui délaisse ses obligations envers les siens, mais celui qui abandonne ses vices (du verbe hajara, abandonner, renoncer, etc.). Ce texte est une leçon magistrale, herméneutique de surcroît (car il nous renvoie (ta’wîl) à la racine étymologique des mots employés, à la fois comme significations et comme fonctions), qui éclaire notre conception de la foi, de l’islam, du jihâd, et de la vertu. Nous savons pourquoi dans la mystique musulmane, la quête de la quiétude, de la beauté et de l’indulgence prévaut sur le ressentiment, l’antagonisme et la rétorsion, autant de volontés négatives attribuées au jihâd au sens militaire, devenues la proie des lectures étriquées. Nous verrons ci-après qu’une fouille terminologique dans le mot jihâd permet de faire apparaître d’autres significations, autres que celles établies, légalisées et imposées par l’orthodoxie.

Mohammed Chaouki Zine
(IREMAM, Aix-en-Provence, France)

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Last modified on vendredi, 14 janvier 2022 18:29

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