Guerre et paix intérieure chez Ibn ‘Arabî

«Guerre» et «paix» sont deux notions antinomiques comme le mouvement et le repos: il n’y a pas de guerre paisible, comme il n’y a pas de paix conflictuelle. Nous ne pouvons pas les traiter comme un “oxymore”, bien que les mystiques aient été friands de cette figure de style qu’ils maniaient avec brio dans la poésie comme dans les oeuvres de systématisation doctrinale. Le passage d’une situation à l’autre se fait en fonction des conditions objectives et des conjonctures.

Dans le langage mystique, ce sont les états spirituels (aḥwâl, pl. de ḥâl) qui déterminent la situation dans laquelle se trouve l’adepte: situation de guerre (combat–mujâhada, ascèse–riyâḍa, observation des préceptes–‘ibâda, extase–wajd, etc.) ou situation de paix (quiétude–sakîna, stabilité–tamkîn, intimité–uns, etc.). Cependant, guerre et paix ne vont pas l’une sans l’autre: la guerre comme effort physique et épreuve morale finit par s’estomper et aboutir à la trêve. La
tradition mystique met en scène le combat que la raison (al-‘aql) doit mener contre la passion (al-hawâ), une description classique que la plupart des soufis ont développé dans leurs manuels1. La conception canonique ou jurisprudentielle de la guerre, qu’on appelle habituellement jihâd, a été modifiée par la tradition mystique et orientée vers l’expérience intérieure. En s’appuyant sur les textes coraniques et prophétiques, cette tradition a fait sienne la conception ésotérique de la guerre, reléguant le jihâd armé au rang de combat mineur n’ayant pas les mêmes vertus que la lutte de l’âme contre ses passions.

Mohammed Chaouki Zine
(IREMAM, Aix-en-Provence, France)

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Last modified on mardi, 20 décembre 2022 00:19
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