Le mysticisme en islam est né dans le siècle qui suit la mort du Prophète. Peut-être influencé, à son origine, par les ermites chrétiens, il s’est considérablement développé au cours du temps, donnant lieu à une importante littérature en vers et en prose. On donna rapidement à ses adeptes le nom de soufi, probablement en référence à la laine (souf) grossière dont ils se vêtaient. D’autres étymologies ont été envisagées : une dérivation du mot grec sophos (« sagesse »), ou de l’arabe safa (« pureté »), mais elles sont généralement rejetées par les chercheurs.
Contrairement aux savants, qui cherchent à atteindre Dieu par l’étude du Coran et des textes religieux, les soufis revendiquent leur ignorance. Leur objectif est d’obtenir une connaissance de Dieu non par l’intellect, mais par l’expérience personnelle et intime, jusqu’à ne faire qu’un avec le Créateur. L’un des plus grands maitres soufis, al-Hallaj, proclamait ainsi par les rues de Bagdad, « Je suis l’absolue vérité », à savoir Dieu lui-même ; d’autres écrivirent des poèmes amoureux, en arabe ou en persan, où la description de l’aimé correspond à celle de la divinité.
Afin d’atteindre à la connaissance et à l’amour de Dieu, les soufis doivent parcourir un chemin scandé par plusieurs étapes – sept, en général, parmi lesquelles la pauvreté, la patience, la crainte, la satisfaction, la confiance en Dieu. Pour ce faire, ils pratiquent l’ascèse, la méditation, la retraite spirituelle, souvent pendant quarante jours. À l’instar des mystiques d’autres religions, ils s’adonnent aussi à la scansion inlassable du nom de Dieu et de la profession de foi musulmane : c’est peut-être par leur biais que le chapelet, utilisé à l’origine en Inde, serait arrivé en Occident. Celui des mystiques musulmans compte quatre-vingt-dix-neuf boules, qui correspondent chacune à l’un des noms de Dieu présent dans le Coran.
Le soufisme ne se pratique jamais seul : celui qui y aspire, le mourid, doit être pris en charge par un maître, le shaikh, qui s'occupe de son entraînement spirituel. Cette relation entre le maître et l’élève permet de perpétuer une chaîne de transmission initiatique, qui remonte toujours à Muhammad. Généralement, un shaikh a plusieurs disciples, qui se regroupent dans une confrérie et pratiquent ensemble les exercices de méditation et d’ascèse. L’une des plus connues est celle des Mevlevi, ou « derviches tourneurs », qui vit le jour à Konya, en Turquie actuelle, au XIIIe siècle.
La valorisation de la danse, de la musique, de la sensualité, voire de la boisson chez ces personnages pieux se justifie, à leur yeux, par leur désir de connaître Dieu non pas dans la lettre du Coran, mais dans l’esprit. On note que le soufisme fait souvent la part belle aux femmes : d’après l’un des principaux maîtres soufis, Ibn Arabi, celles-ci ont la même faculté d’accéder à la sainteté que les hommes. Parmi les premiers adeptes du mysticisme, on trouve d’ailleurs la poétesse Rabia al-Adawiyya, dont s’est inspirée, onze siècles plus tard, la fameuse chanteuse égyptienne Oum Kalsoum.
Néanmoins, le soufisme a souvent été considéré comme subversif et manquant aux principes de l’islam par les autorités religieuses. Dès le Xe siècle, al-Hallaj, par exemple, a été exécuté publiquement. De nos jours, la pratique du soufisme est condamnée en Arabie Saoudite, souvent mal acceptée en Afrique du Nord, et violemment rejetée par les mouvements islamistes. Elle séduit toutefois, de par le monde, de nombreux jeunes musulmans en quête de renouveau spirituel.
Mélisande Bizoirre