Réflexion à partir de la notion de `aql

Dans un passage de son ouvrage “La perle cachée des questions sur ce qui a été et ce qui sera” Tirmidhî (Hakîm, m. 318/930) relate l’anecdote suivante : “ Un jour, un aspirant a fait appel à moi en se plaignant du fait que, pendant qu’il priait, son coeur “s’en allait”. Je lui ai répondu : - Ton coeur est un morceau de chair contenu dans la cavité de ton corps, où peut-il aller de sorte que tu dises : “Mon coeur s’en va” ? Ce disciple s’est trouvé plongé dans une grande perplexité et m’a demandé : - Qu’en est-il, alors ? Je lui ai dit : - Le coeur reste à sa place. C’est l’intellect (`aql) qui s’éloigne de lui et, dans ce cas, tu te trouves dérouté et distrait.

Il m’a encore questionné : - Où s’en va donc l’intellect ? J’ai répondu : - Vers son lieu de résidence (watanihi). - Quel est-il ? - C’est le cerveau (dimâgh) et le rayonnement de l’intellect se produit dans la poitrine entre les deux yeux du coeur extérieur (fu’âd). Lorsque l’intellect rayonne entre les deux yeux du coeur extérieur, des pensées furtives (ou suggestions positives, khawâtir) arrivent du Royaume céleste , puis ces pensées deviennent des idées (ou méditations, afkâr), puis l’idée devient un chemin vers Dieu, permettant à l’homme d’accéder au lieu le plus élevé qu’il puisse atteindre en fonction de la force de sa lumière propre. Il reçoit alors une place éminente auprès de Dieu. Cependant, si l’âme (nafs) se présente avec les préoccupations de ses passions et de ses plaisirs, ses propres pensées furtives (khawâtir ou suggestions négatives) se répandent dans la poitrine entre les deux yeux du fu’âd et plus aucune lumière ne fuse. Le coeur se trouve enveloppé dans la poitrine par une sorte de fumée (dukhân) et de brouillard (ghaym) et il reste dans l’obscurité (zulma). C’est à ce moment là que se produisent les susurrements de l’âme et de l’ennemi, marchant sur les traces les uns des autres” .
Ce texte ne doit pas être envisagé uniquement comme une confirmation, parmi d’autres, du rôle du `aql chez Tirmidhî, à savoir : éclairer la poitrine, de sorte que les yeux du coeur extérieur s’ouvrent et que divers processus de rayonnement intérieur puissent se dérouler jusqu’à leur apogée qui est, pour les saints des plus hauts degrés, l’illumination totale de l’être . Il présente, en effet, l’intérêt d’être communiqué par l’auteur en tant que donnée d’expérience. C’est parce que le disciple a senti “son coeur lui échapper” durant la prière que Tirmidhî lui propose de découvrir ce qui se passe dans ce cas, à savoir que l’intellect, au lieu de rester actif dans le coeur, c’est à dire de se faire purement “intelligence du coeur”, retourne à son lieu d’origine, le cerveau. Dans une semblable situation, la capacité de cet intellect n’étant plus disponible pour le coeur, celui-ci ne peut plus être à l’écoute des suggestions divines et les tentations commencent à assaillir l’homme en prière, son intellect, éloigné de la foi, n’étant plus en mesure de se tourner que vers les réalités relatives aux choses de ce bas-monde.

sources :Les sources de l’anthropologie spirituelle chez les mystiques musulmans;

une réflexion à partir de la notion de `aql

Mélanges en l’honneur du Professeur Luce Lopez-Barralt.

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Last modified on dimanche, 16 octobre 2022 23:48

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