Le soufisme et la religion ancienne du Mali

Si l’islam est ancien sur le sol malien où il fit son apparition probablement dès le VIIème siècle de l’ère chrétienne, son expansion exponentielle dans le pays à partir du XIXème siècle fut cependant, comme nous le verrons, l’œuvre des maîtres soufis. Le soufisme fut donc le véritable vecteur de l’islam au Mali.


Mais il y a lieu de poser la question suivante: y a-t-il un rapport entre la religion traditionnelle malienne et l’esprit soufi? Sous le chapitre «Les fétiches ont tremblé». Monteil tenta de déceler les causes du succès de l’islam en Afrique occidentale. A cet égard, il nota huit points qui furent, selon lui, à l’origine de ce succès, notamment la simplicité de la foi musulmane, sans parvenir, à notre sens, d’en discerner les véritables causes.

L’auteur de «L’islam dans l’Afrique occidentale française» en évoquant également le rite religieux des habitants de l’Afrique occidentale souligne que ces derniers n’ont éprouvé aucune gêne en donnant leur adhésion à l’islam grâce à leur stricte discipline qu’ils observaient déjà dans leur religion ancienne, mais sans toutefois pouvoir faire une comparaison édifiante.

Le succès de l’islam au Mali, notamment sous sa forme soufie, revient principalement à l’existence d’une convergence organisationnelle entre le soufisme confrérique et la religion ancestrale du pays. Le fétichisme comme religion ancienne du Mali, avant l’avènement de l’islam, était structuré et hiérarchisé à l’instar des confréries soufies. Les membres appartenant aux confréries animistes étaient soumis à des règles très strictes. La religion traditionnelle se constituait de divers éléments, entre autres:-La case isolée et encerclée par une cloison, pour mieux camoufler le centre des activités rituelles. Ceci représente clairement les zawiyas dans le soufisme, où les aspirants s’isolent pour effectuer des exercices spirituels. -La cotisation des membres appartenant au fétichisme dans le but d’entretenir leur temple animiste et de venir en aide aux plus démunis de la société. Ce point correspond de façon nette aux présents dits «ḥadiyya» dans le soufisme. Ces cadeaux sont également destinés à financer le guide spirituel et toutes les activités rituelles de la confrérie soufie. Le chef de la confrérie traditionnelle qui joue un rôle prépondérant dans la gestion du culte animiste et préside les assises rituelles. Il est ainsi similaire au cheikh dans les voies spirituelles, car ce dernier en est aussi le centre autour duquel tournent tous les composants de la tarîqa.
Le test des nouveaux adhérents à la confrérie fétichiste qui se tient sous l’égide du chef des fétichistes. Ce test consiste à soumettre le néophyte à l’épreuve physique et intellectuelle. Une fois assuré qu’il résiste aux conditions dures de la vie et qu’il connaît suffisamment la tradition ancestrale qui régit la confrérie, il y est ouvertement admis. Un casque traditionnel lui est délivré en signe d’appartenance. Ceci constitue également un point de convergence avec le soufisme. Car le nouvel aspirant voulant se soumettre à une tarîqa subit en général une épreuve de la part du guide spirituel avant d’y être admis. Une fois les épreuves réussies, le novice recevra un bonnet blanc et parfois un habit particulier ou un chapelet comme signes d’appartenance. -La cérémonie composée de musique et de danse rituelle, régulièrement organisée par la confrérie traditionnelle pour rendre hommage à leur fétiche et consolider les liens sociaux entre les adeptes. Les confréries soufies offrent également des prestations semblables, le sama et le raqs représentant dans le soufisme la musique et la danse rituelles, auxquels s’adonnent les soufis à des fins spirituelles. -Le passage d’un niveau inférieur à un niveau supérieur dans la religion animiste s’effectue en fonction de l’âge des adeptes. Les plus jeunes doivent une obéissance totale aux plus âgés, alors que ces derniers doivent une protection et une solidarité indéfectibles à l’égard des jeunes. Le soufisme est également constitué de différentes étapes, commençant par mouride, le novice, puis muqaddam, khalife et terminant par cheikh. Ces étapes sont accessibles en fonction du degré spirituel des aspirants. L’obéissance aveugle est requise pour les adeptes occupant les étapes supérieures, ces derniers veillent également, en contrepartie, au bon exercice spirituel des novices.
La retraite dans des lieux sacrés des animistes, afin d’entrer en communion avec les esprits de la nature fort conseillée par la confrérie traditionnelle. Cette retraite prônée par la religion ancienne du Mali est remarquablement identique aux retraites spirituelles ẖalwa observées par toutes les confréries spirituelles. Ces pratiques décrites dans la religion traditionnelle du Mali, correspondant singulièrement aux pratiques adoptées dans le soufisme, ont particulièrement fasciné le peuple malien, qui n’a éprouvé aucune gêne pour se convertir à l’islam sous sa forme soufie. Car il s’y reconnut aisément et ne fit qu’échanger un style cultuel pour un autre quasiment identique sur le plan organisationnel. Le soufisme a ainsi connu une adhésion étendue et une forte influence, sur la population de l’ancien Soudan. Nous avons même observé que certains auteurs sont allés très loin, en restreignant l’islam des Africains noirs aux confréries soufies: «Le musulman noir en particulier ne conçoit plus l’islam que sous la forme de l’affiliation à une voie mystique». Si la majorité musulmane est affiliée à des voies mystiques au Mali du XIXème siècle, cependant, persistent également ceux qui se refusent à toute affiliation confrérique, et ne revendiquent que l’islam tout court, d’où l’inexactitude de généraliser l’emprise des confréries soufies. Paul Marty, évoquant la biographie de certains soufis du XIXème siècle, non rattachés à aucune confrérie au Soudan français, cite une dizaine de personnes et les appelle «Les indépendants». Ce refus de toute étiquette confrérique est connu dans le soufisme du Mali d’hier et d’aujourd’hui également, même si le nombre fut à l’époque précoloniale infime par rapport à ceux rattachés aux confréries, car une culture confrérique régnait à l’époque et finit par engendrer cet adage: «Ne pas être affilié à une voie religieuse, c’est faire preuve d’une foi très tiède». Aujourd’hui la présence de soufis «autonomes» au Mali est patente, et le président de la Ligue Islamique des Leaders Soufis du Mali, Tierno Hady Thiam nous a également confirmé le phénomène. Ce groupe soufi non affilié se reporte sans en avoir conscience à une citation de Baḥāal-Dīn Naqšabandī: «Le rattachement à tel ou tel maître ne sert à rien, il faut chercher seul et en soi». Suhrawardi disait-il pas: «Celui qui n’a reçu aucun dévoilement spirituel, kašf peut parfois être mieux que celui qui l’a reçu.» .Cheikh Bakkay, le guide spirituel qādirī, nous révèle: «Celui qui invoque Dieu avec ténacité sans être affilié à aucune tarîqa et multiplie ses actions dévotionnelles ‘‘prière ṣalat, jeûne ṣiyam, retraite spirituelle ẖalwa’’pourrait être mieux qu’un novice affilié à une confrérie et qui en fait moins»

Source : LE SOUFISME AU MALI DU XIXème SIECLE A NOS JOURS Religion, politique et société

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Last modified on dimanche, 23 mai 2021 15:13

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