Dakar, le 09 novembre 1993
Lettre ouverte au Président Léopold Sédar Senghor
Monsieur le Président et Cher Frère,
Quelques jours avant votre retraite des affaires… vous m’avez dit « je suis encore lucide, Cheikh ! », c’est-à-dire que vous aviez conscience d’avoir fait le bon choix.
Quelque temps après, j’ai remarqué que le ton avait changé, car au cours d’une visite dans votre villa sur la corniche, vous m’avez affirmé : « on est en train de faire des conneries dans ce pays ». Le mot était trop fort parce qu’émanant d’un homme visiblement furieux.
Il y a quelques jours, je disais à mon ami Ahmat DANSOKHO, membre influent de l’opposition « je commence à croire à l’infériorité de notre race ». Cela ne signifie point que je plaide en faveur de la supériorité d’une race quelconque, la logique des grands m’ayant appris beaucoup de choses.
L’autre nuit, il m’est arrivé à l’esprit de faire une relecture, celle de l’histoire de NÉRON. Et il ressort de cette relecture que même la dictature qui est la pire des choses a besoin de certaines vertus pour faire un dictateur digne de ce nom.
Alors que chez les Nègres, les dictateurs ne sont que des gens pitoyables. Il suffit de vérifier un peu dans leur passé proche ou lointain pour se rendre compte d’une réalité ou d’une fatalité : ils ont plus besoin de guérisseur que de royaume.
Un anti calife, alors Ambassadeur, nous a révélé un jour à Paris que dans cet ordre d’idée, une mission a été confiée à Abdou Anta pour aller faire des recherches au Nigeria sur les origines princières d’un responsable de votre parti. Une sorte d’archaïsme érigé en règle de Démocratie.
En donnant cette information, Mr CISSE avait fondu en larmes en sachant que de telles insuffisances pouvaient conduire à tous les dérapages du monde.
Soyez mon interprète, Mon Cher Frère, auprès du Président MITTERAND pour dire que lui et le Général DE GAULE sont un peu responsables de cette situation qui prévaut en Afrique, car, au lieu d’accorder la souveraineté nationale aux pays francophones, avec toutes les garanties nécessaires, ils ont préféré précipiter les choses en se débarrassant purement et simplement de leurs alliés naturels que sont ces pays, en remettant des moyens militaires considérables à une poignée d’individus, toujours prêts à mettre à feu et à sang tout un continent. C’est comme s’ils voulaient léguer à des apprentis sorciers la vocation colonisatrice de l’Occident.
Votre parti nous avait promis des élections libres et transparentes : nous attendons toujours le résultat… et cela malgré la démission du vaillant Kéba MBAYE, l’assassinat du valeureux Me Babacar SEYE et la disgrâce si prématurée de l’infatigable défendeur de votre cause, notre ami Doudou DIOP, actuel Maire de Dakar.
Permettez moi, mon Cher Frère, de vous affirmer que nous avons votre nostalgie et cela malgré les reproches que nous ne cessons de vous faire à la suite de votre fuite.
Les Moustarchidines et leur Guide qui sont vos petits-neveux se joignent à moi pour vous dire un grand bonjour et ils prient toujours pour la préservation de vos acquis.
Votre ami,
Serigne CHEIKH AHMET TIDIANE SY