Lettre ouverte au Roi Fayçal d’Arabie (Par Serigne Cheikh Ahmed Tidiane SY)

By Serigne Cheikh Ahmed Tidiane SY janvier 09, 2022 478

Cher Frère en Dieu, Au moment où le problème d’un « renouveau islamique » se pose au monde musulman, voici un appel qui nous parvient et du cœur même de la terre sainte comme pour nous faire entendre une fois de plus la voix du désert ! L’Unité de la Foi Islamique a besoin d’être réalisée et organisée, dit-elle.En effet, cette Unité qui déjà existe sous l’image même d’une fraternisation codifiée doit être matérialisée par l’adhésion librement consentie de tous ceux qui n’ont plus de société, si ce n’est celle conçue et mise sur pied par ces quelques principes rares que la fécondité d’une pensée vient de mettre au monde.

Votre appel est à la fois source d’espoir et sujet d’inquiétude, car vous etes un Chef d’Etat… C’est à dire responsables d’une politique donnée… Ce qui veut dire que tout geste provenant de vous est susceptible de provoquer une réaction plus ou moins tendancieuse de la part des autres Chefs d’Etat et des autres responsables politiques. Le malheur est qu’au moment même où l’islam éprouve un besoin impérieux de faire de sa foi le lieu de fraternisation intercontinentale, l’histoire politique de l’Univers terrestre prend un tournant assez dangereux et risque de faire de toute entreprise de cette nature une redoutable arme contre tous ceux qui, pour le bonheur de l’Humanité, tenteraient de la réaliser.Il conviendrait donc de faire un petit recul, de voir quelles sont les deux sources d’autorité considérées comme « valables » d’après l’esprit même du Coran : un chef avec tout ce que cela signifie de compétence et de justice et l’opinion de braves citoyens…

La première semble poser à la conscience musulmane un problème dont la solution est loin d’être à la portée d’un siècle, qui se veut celui des imbéciles ; la seconde c’est là un aveu… De braves citoyens ! L’on sait qu’au niveau de tout continent, il y a un syndicat de chefs d’Etat dont l’unique besogne est de faire de l’opinion des peuples tout ce que bon lui semble. Nous ne savons donc pas encore comment un appel pourrait-il arriver à déchirer ces mille voiles dressées par des mains sales et coupables autour de toute conscience et de toute opinion. Etes-vous sur, cher frère, que votre courage et votre détermination iraient jusqu’à perdre de précieux liens d’intérêt attachant votre pays à certaines puissances d’une autre conception ? Celles-ci ne verraient-elles dans votre appel qu’une affaire purement politique ? C’est à dire une question d’intérêt circonstanciel et de prestige ?

Croyez-vous qu’un tel appel pourrait cadrer avec l’humour toujours grandissant de certains grands de l’Islam ? De toutes les manières, le coup d’envoi est déjà donné et les musulmans, tous les musulmans de la terre, avec leur passivité criminelle, attendent le miracle. C’est à vous de voir s’il y a une troisième source d’autorité où vous puiserez l’énergie qu’il faut… afin de faire de ce rêve une réalité concrète. Quant à nous, musulmans sénégalais, nous sommes à la disposition des principes régissant cette société que le prophète MAHOMET lui-même appelle : la Société des croyants. Nous croyons qu’à l’instant même où l’Occident sent la nécessité d’importer de l’Orient une nouvelle religion, une telle pensée ne peut qu’être accueillie avec bénédiction.

L’on convient que l’Occident est importateur de religion ; qu’il a toujours fait appel à l’Orient quand les mœurs font ravage dans les quatre coins de son Univers ; qu’il a habituellement fini par s’approprier les religions qu’il n’épouse que le besoin de son activisme. C’est E. F. GAUTIER qui l’a dit « Après tout, pour donner l’essor à sa renaissance, l’Orient ne compte pas seulement sur la décadence de la civilisation occidentale. Il compte sur ses ressources propres : sur le trésor de possibilités qui dort dans la vieille Asie, ancêtre de l’Humanité civilisée. La plus profonde de ces ressources est certainement le sentiment religieux. » Loin de moi de rejeter une telle initiative ou de décourager une prise de position de cette envergure, le but de ma lettre reste celui de tâter les obstacles, de les mettre en relief.

En face de ce grand événement, les bons musulmans ne sauraient dissimuler leur angoisse. Et, pourtant, les grands de la pensée sont unanimes à une chose : que la vérité ne sort jamais que de l’angoisse. Votre appel n’est point une déclaration d’intention, c’est une proposition à la nation islamique… Une sorte de réveil qui oppose l’adaptation au snobisme, la recherche à la soumission, et tout cela pour un Islam répondant aux exigences de toute disciple scientifique sans pour autant négliger sa mission à vocation sacrale. Les fautes commises de part et d’autre peuvent servir de leçon, de mise en garde… et cela contre les errements du passé.

RENAN qui se plait à parler de la nullité religieuse de l’Occident ne saurait empêcher les autres de souligner avec ardeur la nullité technique de l’Orient. L’Occident et l’Orient, au lieu d’emplir le monde des échos de leur procès, doivent s’entendre sur une base : celle de se détromper. GAUTIER en fait allusion dans son livre : « Mœurs et coutumes des musulmans… » Il a essayé d’organiser un foyer où la laïcité occidentale fera caisse commune avec la religiosité orientale. D’autant que le péché de la laïcité ne réside que dans sa neutralité… Dans un refus catégorique opposé à l’éventualité d’un retour à la source.

Un enseignement non sanctifié cela équivaut à une déclaration de guerre contre l’intelligence Supérieure de l’Absolu. Il l’a dit au Prophète MAHOMET dans un impératif qui fait sentir tout le poids de Son Autorité :
« Lis… au nom de Dieu… » Si d’autres lisent pour le simple plaisir d’être « savants », MAHOMET lui doit tenir compte d’une chose : que l’homme n’est athée que par ce qu’il a l’audace de manifester sa neutralité vis-à-vis du pouvoir céleste, en refusant ainsi de se soumettre à une autre volonté que celle de son propre plaisir. Mais dans ce foyer… cause commune ne doit nécessairement signifier dédoublement c’est là le drame !.

Le drame est qu’au moment où le matérialisme tend à dominer le monde, il est mille fois plus aisé pour un religieux oriental de s’occidentaliser que pour un laïque occidental de se faire adopter par la sagesse orientale. Mais il y a un principe à sauvegarder : celui de mettre le matériel au service du religieux : ce qui nécessiterait une volonté de fer et une connaissance approfondie de l’origine même du monde et de la création. L’esprit et la matière ayant singulière signification de l’existence d’ici-bas, l’homme qui en est l’élément de synthèse ne saurait se soustraire à l’un sans pour autant porter atteinte à l’autre. L’esprit, c’est le but : la matière, c’est l’instrument. Concilier les deux en y établissant une loi d’alternance et d’équilibre, c’est là le rôle de tout conducteur d’hommes. Vouloir faire de l’un et de l’autre des antagonistes, c’est là une teinte d’ignorance qui ne laisserait le visage de la paix sans quelques égratignures.

Et pourtant, certains ‘’analystes » confondent ce principe de bon voisinage entre l’esprit et la matière avec cette lutte perpétuelle qui oppose le vice et la vertu : ils ne se rendent pas compte d’une chose : que dans le premier, il y a deux parties qui composent un tout : dans le second, il y a deux forces opposées qui s’entredéchirent en se détruisant mutuellement. Et, pour arriver à un résultat concret, mieux vaut accorder la priorité au premier, avant de venir se perdre dans les « spéculations » du second.

Croyez-vous cher frère, l’effort qu’exige une coopération de cette nature, n’est pas aussi simple. Il s’agit de réaliser l’unité de la foi islamique, mais il s’agit surtout de quelque chose de plus complexe : arriver à faire accepter aux non-musulmans qu’une telle unité ne comporte aucunement une visée politique : qu’il ne s’agisse là que d’un bien spirituel dont peuvent bénéficier tous les enfants de la terre. C’est comme une voiture-automobile conçue et réalisée par l’Occident, mais qui n’en reste pas moins acceptée et utilisée par l’Orient. C’est comme le mariage entre le dollar et le pétrole. L’essentiel est qu’on en fasse l’affaire de tout le monde en mettant de coté ce qui a toujours poussé Emirs et Patriarches à vouloir s’approprier la foi des fidèles bien que les uns et les autres n’en restent pas moins soumis au cynisme et au bon plaisir des activistes.

Cet appel à l’unité de la foi islamique peut concourir à une chose que les forces du mal ont toujours réfutée : l’appel à l’organisation de la foi tout court. C’est bien l’avis du Coran qui ne parle que de la sincérité des hommes de foi. Ceux qui parmi les hommes de foi sont sincères optent plutôt pour la cause de Dieu, semble dire un verset… Peut-on imaginer un adepte de JESUS qui ne reconnaîtrait l’authenticité de la mission de MAHOMET ? Il suffit d’écarter les mensonges, d’éliminer les passions, de laisser la foi révélée faire son chemin pour comprendre le sens de cette unité. Dieu n’envisage les grands ensembles que pour organiser un univers. Si le nom d’un prophète devient un obstacle sur la route de cette marche vers l’unité de la foi, mieux vaut faire table rase et rendre à Dieu ce qui n’appartient qu’à Dieu. Pourquoi toutes ces épreuves qui rendent les hommes aussi tristes que malheureux ? « Parce qu’ils hésitent », répond le verbe.

S’ils étaient vraiment sincères, le ciel ne tarderait pas à se charger de leur orientation. Il ne cesserait de déverser sur eux des pluies de grâce… Mais le Juif qui s’arroge le titre d’élu de la providence, c’est comme le chrétien qui lui dispute son élection, c’est comme le Musulman qui considère l’un et l’autre comme des mécréants, des associateurs. La foi, elle, cherche l’homme dans sa qualité de citoyen universel. Elle ignore les particularités qui au lieu de servir de base à un dialogue, deviennent et pour le malheur de notre espèce, des barrières infranchissables en face desquelles toute vigilance et toute bonne volonté restent paralysées à jamais. Votre appel refuse de s’inscrire dans un cadre purement littéraire… Dans le cadre de la poésie. C’est au contraire, le fondement spirituel mais réel d’un futur palais des nations appartenant à cette idée de Dieu sans laquelle d’ailleurs rien ne se construit, et en dehors de laquelle, il n’y a que chimères et poussières.

Vous avez déjà jeté une base pour la communauté de demain car toute coopération qui ne prenne source que dans le profit n’est qu’un germe de conflit et de guerre. Longtemps, nous avons cru devoir abuser de leur magnanimité. Et aujourd’hui ? Aujourd’hui nous commençons à nous rendre compte de notre état d’infériorité vis-à-vis d’eux… que nous ne sommes que des gens pauvres et tristes. Au cours de longs siècles, les malins de la terre, les faiseurs de canons et d’obus n’ont cessé de faire valoir leurs théories, des théories d’hommes civilisés. Mais, depuis, une chose paraît certaine ; que cette idée de Dieu une fois écartée, l’homme ne se sent en sécurité que dans l’alcool, dans l’opium, dans la négation de soi. Il ne nous reste donc que d’attendre la suite… une suite qui, nous en sommes surs, arrivera à combler ce grand vide que les spoutniks, ni les carcasses géantes de ces montres d’acier ne sauraient combler.

Nous souhaitons que les autres chefs comprennent bien l’urgence qu’il y a de donner leur réponse, d’étudier avec vous les moyens avec lesquels l’Islam d’aujourd’hui, face à tout matérialisme dégradant, ne tarderait pas à renforcer puis à unifier sa foi… Et cela dans un esprit de coopération avec tous ceux qui, parmi les pays de la liberté ont intérêt à marcher avec vous la main dans la main. Nous vous souhaitons surtout une belle réussite dans votre tache difficile, mais combien exaltante, en vous offrant ici et tout humblement, notre collaboration apportera dans la mesure où cette collaboration apportera quelque chose de positif.


Que Dieu soit avec les hommes sincères !

 

 

Dakar, le 13 Juillet 1966

 

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Last modified on mardi, 18 octobre 2022 23:37
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